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La CJUE valide sous conditions l'interdiction du voile au travail

Social - Fonction rh et grh, Contrat de travail et relations individuelles, Europe et international
14/03/2017
Dans deux arrêts rendus ce mardi 14 mars, la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) se prononce sur deux affaires, en Belgique et en France, concernant des femmes musulmanes licenciées pour avoir porté le voile au travail.
Sous certaines conditions, une entreprise peut interdire dans son règlement intérieur le port de signes religieux au travail. C'est le message envoyé ce jour par la Cour de justice de l'Union européenne (CJUE) dans deux décisions très attendues. « L'interdiction de porter un foulard islamique, qui découle d'une règle interne d'une entreprise privée interdisant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux sur le lieu de travail, ne constitue pas une discrimination directe fondée sur la religion ou sur les convictions au sens de la directive (sur l’égalité de traitement en matière d’emploi et de travail, NDLR) », conclut ainsi la CJUE dans une première affaire en Belgique. La Cour de Luxembourg suit ainsi l'avocat général qui, le 31 mai 2016, avait proposé de conclure à l’absence de « discrimination directe » fondée sur la religion lorsque l’interdiction faite au salarié « s’appuie sur un règlement général de l’entreprise » interdisant aussi bien les signes politiques et philosophiques que les signes religieux visibles, sans viser une ou plusieurs religions déterminées.

Dans ce dossier, Samira Achbita était salariée depuis 2003 de G4S Secure Solutions, une société de services d’accueil et de surveillance. Trois ans plus tard, elle informe son employeur qu’elle portera le voile au travail. Celui-ci refuse au motif que ce serait contraire à la règle orale de neutralité de l’entreprise. G4S Secure Solutions modifie ensuite son règlement intérieur qui précise : « Il est interdit aux travailleurs de porter sur le lieu de travail des signes visibles de leurs convictions politiques, philosophiques ou religieuses ou d’accomplir tout rite qui en découle ». Samira Achbita est licenciée.

Discrimination indirecte

Dans son arrêt, la Cour précise cependant qu'« une telle interdiction est susceptible de constituer une discrimination indirecte s’il est établi que l’obligation en apparence neutre qu’elle prévoit entraîne, en fait, un désavantage particulier pour les personnes adhérant à une religion ou à des convictions données. Toutefois, une telle discrimination indirecte peut être objectivement justifiée par un objectif légitime, tel que la poursuite par l’employeur, dans ses relations avec ses clients, d’une politique de neutralité politique, philosophique et religieuse, pourvu que les moyens de réaliser cet objectif soient appropriés et nécessaires. »  A la Cour de cassation belge, de se prononcer sur ces points, explique la CJUE.

Souhaits du client

Le cas transmis par la Cour de cassation française concerne quant à lui une ingénieure d'étude employée par la société hexagonale Micropole. Au moment de son embauche en 2008, Asma Bougnaoui portait le foulard. Mais lors d'un rendez-vous avec un client, ce dernier s'était plaint et avait exigé qu'il n'y ait « pas de voile la prochaine fois ». Micropole avait transmis cette requête à sa collaboratrice qui avait refusé. Elle avait été licenciée en juin 2009. Et ce en l'absence d'une règle interne prohibant le port visible de tout signe politique, philosophique ou religieux. Selon Micropole, le port du voile entravait le développement de l’entreprise puisqu’il empêchait la poursuite de l’intervention chez le client.
Dans sa décision, la CJUE estime que « la volonté d’un employeur de tenir compte des souhaits du client de ne plus voir ses services assurés par une travailleuse portant un foulard islamique ne saurait être considérée comme une exigence professionnelle essentielle et déterminante au sens de la directive ».

L'entreprise a fait preuve de discrimination directe illicite, avait estimé, en juillet dernier, l'avocate générale de la Cour de justice de l'UE, Eleanor Sharpston (lire aussi notre actualité). « Du fait de sa religion, Mme Bougnaoui a été traitée de manière moins favorable, puisqu'un autre ingénieur d'études qui n'aurait pas choisi de manifester ses croyances religieuses n'aurait, lui, pas été licencié », avait-elle martelé.

L'Observatoire de la laïcité, une instance gouvernementale, a salué ces arrêts de la CJUE qui, « sans modifier le droit positif français, permettent de préciser l'application des restrictions à la manifestation des convictions individuelles dans le cadre de l'entreprise privée ». La Cour valide par la même occasion la loi Travail qui permet à l’entreprise d’inscrire le « principe de neutralité » dans son règlement intérieur.
Source : Actualités du droit