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Kevin Guillas Cavan, chercheur à l'Ires : « Le projet de fusion des IRP ne correspond pas aux évolutions négociées sur le terrain »

Social - IRP et relations collectives
26/07/2017
"Fusionner les instances représentatives du personnel : une fausse bonne idée ?", s'interroge l'Institut de recherches économiques et sociales (Ires) dans une note d'éclairage qui vient de paraître (1). Selon Kevin Guillas Cavan, chercheur à l'Ires, spécialiste des relations sociales, le projet du gouvernement de fusionner les IRP est un serpent de mer que n'attendent ni les DRH, ni les élus du personnel.
Actualités du droit : Dans votre note, vous critiquez le projet gouvernemental de fusion des IRP. Pour quelles raisons ?
Kevin Guillas Cavan : Nous critiquons moins le projet du gouvernement que nous nous étonnons de l’absence de réflexion sur l’évolution des instances à l’œuvre depuis la loi Rebsamen telle qu’elle est négociée au niveau de l’entreprise. Dans le rapport que nous avons rendu à la Dares, nous observons l’existence de réflexions assez abouties sur la question et plusieurs cas de fusions partielles, adaptées à chaque entreprise. Ce que nous critiquons, c’est la méthode et la forme de cette fusion qui ne semble pas correspondre aux évolutions négociées sur le terrain.
Sur le fond, cette idée de fusionner les IRP est un serpent de mer. Déjà en 2012, avant la négociation de l'ANI sur la sécurisation de l'emploi, les organisations patronales (Medef, CGPME, UPA) avaient proposé de remplacer les IRP (CE, DP, CHSCT) par un "conseil d'entreprise". En contrepartie, elles proposaient cette instance unique dès le seuil de 10 salariés. La tonalité patronale a depuis changé. Dans sa conférence de presse du 4 juillet dernier, Pierre Gattaz a tout bonnement proposé une instance unique du personnel à compter d'un seuil de 100 salariés !
Depuis, la loi Rebsamen d'août 2015 est passée par là avec la possibilité pour le chef d'entreprise d'imposer une DUP dans les entreprises de moins de 300 salariés. Dans les entreprises d’au moins 300 salariés, en revanche, le regroupement des instances n'est possible qu'en présence d'un accord. Le gouvernement entend donc libérer les entreprises de cette dernière contrainte sans avoir fait le bilan des pratiques.
Par ailleurs, les modalités du projet porté par Muriel Pénicaud sont encore assez floues. Se dirige-t-on vers une fusion horizontale, entre les instances de même niveau, ou vers des fusions verticales, au sein de chaque pilier d'instances (par exemple la fusion des CE et du CCE) ? Quid également des rapports entre la future instance unique et le conseil d'administration ou le comité de groupe ?

AdD : Vous décrivez trois manières de fusionner les instances. Quelles sont-elles ?
K. G. C. : Le projet du gouvernement peut en effet se réaliser selon trois modèles : une fusion entre les DP, le CE et le CHSCT, au niveau de chaque établissement, avec des DUP locales et un CCE , voire un comité de groupe aux échelons supérieurs ; une fusion entre les différents CE pour former un CE unique, au niveau de l’ancien CCE et doté de l’ensemble des prérogatives des différents CE et du CCE ; un CE unique et un CHSCT unique, créant ainsi une DUP unique, au niveau central. Il semble que le gouvernement s'oriente vers le premier cas de figure. Sur le terrain, nous remarquons un mouvement assez net de centralisation des comités d'établissement en faveur des CCE.

AdD : Le CCE est selon vous l'instance qui monte en puissance ?
K. G. C. : Oui, avec le CHSCT. Dans les entreprises à multi-établissements, les CE locaux perdent de l'intérêt au profit du CCE. Les premiers deviennent des instances de gestion des œuvres sociales. Les vrais débats sociaux-économiques, les sujets lourds, comme les restructurations, sont abordés en CCE. Quant au CHSCT, cela fait plusieurs années que cette instance est devenue très importante, tant pour les chefs d'établissement que pour les salariés. C'est le seul lieu où des questions sensibles, liées à la santé et à la sécurité, peuvent être abordées.

AdD : Craignez-vous justement une disparition du CHSCT ?
K. G. C. : Avec la DUP, on assiste de fait à une dilution complète du rôle du CHSCT. Ainsi, il est prévu que l'on passe de 6 réunions annuelles à 4 "en partie" consacrées aux prérogatives du CHSCT. Les enjeux de santé et sécurité au travail seront donc minorés dans cette configuration. C'est d'ailleurs le cri d'alarme que poussent actuellement les experts, les élus, voire les DRH d'établisssement : « il faut préserver le CHSCT ! » La question du CHSCT est un point sensible, plus au fond que celui des DP. Dans beaucoup de cas, les prérogatives de ces derniers sont exercées par les CE et les CHSCT. Ils conservent néanmoins une certaine importance quand les CE et les CHSCT sont établis à un niveau supérieur à celui du lieu de travail concret, l’agence ou le site. Finalement, la tendance à la centralisation des CE et des CHSCT fait des DP la dernière forme de représentation locale dans plusieurs cas.

AdD : Plus surprenant, les DRH ne semblent pas vraiment favorables à la fusion des instances…
K. G. C. : Contrairement aux directions générales et financières qui poussent au regroupement des instances pour des questions d’économie, les DRH ne sont pas nécessairement opposés au maintien d’instances diverses, sur plusieurs niveaux. Dans le cas où le dialogue social est mauvais, cela peut leur permettre de cloisonner les sujets entre les différentes IRP, voire parfois de préserver une dispersion des forces syndicales. Dans la plupart des cas que nous avons étudiés, les DRH s’efforçaient cependant d’entretenir un dialogue social de qualité. Ils sont alors conscients de la nécessité d’avoir une représentation du personnel conforme à la structure de l’entreprise et de conserver des instances de discussion au niveau de l’établissement où l’on échange sur les problèmes concrets des salariés. Cela leur permet aussi d’être informés sur ce qui se fait dans les établissements : est-ce que les accords qu’ils ont signés sont appliqués par exemple ? Du coup, il est tout à fait imaginable que certains DRH négocient avec les organisations syndicales des accords dérogatoires à la future loi pour conserver une représentation du personnel conforme à la structure de leur entreprise.

AdD : Quel premier bilan dressez-vous de l'instance unique issue de la loi Rebsamen ?
K. G. C. : D'un point de vue quantitatif, il est double. Dans les entreprises de moins de 300 salariés, les employeurs se sont saisi de l'opportunité de regrouper les instances. Ils mettent en avant une réduction du nombre d'élus, de réunions, d'heures de délégation…L'intérêt est naturellement limité pour les organisations syndicales. C'est la raison pour laquelle très peu de socités de plus de 300 salariés ont mené à bien ce chantier. Les entreprises qui ont négocié un accord sur ce sujet ont dû faire des concessions. Elles ont par exemple accordé davantage de réunions, d'heures de délégation ou bien elles se sont engagées à former leurs représentants du personnel. Au final, pour les entreprises qui ont fusionné leurs instances, nous ne bénéficions pas d'assez de recul pour analyser l'impact de la DUP sur la qualité du dialogue social.

Propos recueillis par Jean-François Rio

(1) Elle se fonde sur une étude réalisée pour le compte de la Dares, le service statistiques du ministère du Travail, avec le concours de trois cabinets d'expertise, le centre d'étude et prospective du groupe Alpha, Orseu et Syndex.
Source : Actualités du droit