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Richard Abadie, directeur général de l'Anact : « Nous proposons de revisiter les pratiques d’amélioration des conditions de travail par l'innovation »

Social - Santé, sécurité et temps de travail
11/06/2018
Richard Abadie, directeur général de l'Agence nationale pour l'amélioration des conditions de travail (Anact), évoque les temps forts de la 15e Semaine pour la qualité de vie au travail qui se déroulera du 11 au 15 juin. Il dresse également le bilan d'une année à la tête de l'organisme.

Liaisons Sociales : L'Anact organise sa 15e Semaine pour la qualité de vie au travail du 11 au 15 juin. Quels seront les temps forts de cet événement ?

Richard Abadie : Nous souhaitons inviter les entreprises et les organismes qui les accompagnent à innover dans leurs actions en faveur de la qualité de vie au travail (QVT). Il ne s’agit pas de favoriser les dernières tendances à la mode simplement parce qu’elles sont nouvelles ; il s’agit de proposer aux acteurs concernés de revisiter leurs pratiques d’amélioration des conditions de travail en faisant de la place à davantage de créativité, à l’association plus large des parties prenantes de l’entreprise ou encore à davantage d’interdisciplinarité. Cette édition sera donc l’occasion de débattre des nouveaux enjeux auxquels font face les entreprises qui se transforment mais aussi de montrer des pistes d’action expérimentées par le réseau Anact-Aract pour y répondre. Par exemple : les nouvelles modalités de formation pour les managers, des supports ludiques et pédagogiques pour faciliter le dialogue dans l’entreprise sur les questions du travail, les modalités d’intervention qui permettent de faire progresser la QVT dans un groupe d’entreprises, sur un territoire, dans un secteur d’activité…

Au total, 60 événements se dérouleront du 11 au 15 juin. Ils traiteront notamment des évolutions managériales, de la transition numérique, de l’égalité professionnelle ainsi que des nouvelles modalités de dialogue social – qui peuvent constituer des leviers d’innovation en matière de QVT. Sur la forme, parmi ces événements, on trouvera de nombreux ateliers collaboratifs pour expérimenter l’intérêt d’innover à plusieurs en faveur de la QVT. Un programme de webinaires est également proposé pendant cette semaine. L’innovation en matière de QVT, ce sont aussi les nouveaux acteurs qui s’emparent de la question de la QVT (mutuelles, acteurs du développement économique, de l’innovation sociale…). Notons que quatre acteurs de la prévoyance (Siaci Saint Honoré, le Groupe Aesio, Malakoff et la MGEN), qui travaillent en partenariat avec l’Anact, s’associent à l’organisation de cette nouvelle édition.

LS : Justement, l'Anact a récemment signé avec des mutuelles et de groupes de protection sociale plusieurs partenariats pour mieux prévenir les risques professionnels dans les branches. Allez-vous poursuivre dans cette voie ?

R. A. : L'Anact a développé des partenariats avec des organismes de complémentaire santé depuis quelques années, notamment avec des mutuelles. Ces coopérations sont toujours porteuses d’initiatives concrètes : elles favorisent la diffusion des méthodes de l'agence vers les entreprises, elles permettent également le co-développement d’outils dans des formats numériques, comme des applications mobiles, ou le financement d'expérimentations sur un secteur d'activité ou un thème. Nous voulons poursuivre et amplifier ces coopérations, particulièrement avec les organismes actifs dans les secteurs qui ont le plus besoin de progresser en matière de qualité de vie au travail. Les accords de prévoyance organisant le « haut degré de solidarité » mettent à disposition des partenaires sociaux des fonds qui peuvent être destinés à des actions de prévention. Au travers de diagnostic de branche, le réseau Anact-Aract peut par exemple aider les partenaires sociaux à définir les actions utiles, mettre en œuvre des actions collectives sectorielles pour construire des ressources adaptées aux réalités des entreprises concernées.

LS : Quel premier bilan dressez-vous de l'accord-cadre signé en septembre 2016 entre l'Anact et l'INRS ?

R. A. : La signature de cet accord-cadre a permis d’une part d’optimiser la complémentarité des actions et projets initiés par chacun, et d’autre part d’établir un cadre pour des productions conjointes de publications, la participation commune à l’organisation de conférences, de colloques ou de congrès internationaux, des actions de formation, des projets d’études et de recherche, la valorisation de résultats au bénéfice de la prévention des risques professionnels… Dans ce cadre, nous avons par exemple publié ensemble un guide d’évaluation des interventions de prévention des RPS et des TMS, et co-construit une formation employeur-représentants du personnel pour les entreprises de 11 à 49 salariés.

LS : Qu'en est-il de l'appel à projets en faveur de l’égalité des conditions de travail entre hommes et femmes ?

R. A. : L’Anact a conduit deux appels à projets distincts sur la thématique de l’égalité des conditions de travail entre hommes et femmes. L’un relève du Fact (Fonds d’amélioration des conditions de travail), l’autre du Transformateur Numérique. Le Fact a pour objet de promouvoir et soutenir des projets innovants, d'expérimentation ou de capitalisation-transfert sur le champ de la qualité de vie au travail. La commission Fact a examiné le 15 mai dernier les projets déposés dans le cadre de l’appel à projet « Agir en faveur de l’égalité et de la mixité » initié le 15 février 2018. Dix-huit projets ont été retenus dont sept portés par des entreprises ou des associations. Trois d'entre eux sont susceptibles d’être soutenus sous réserve d’être retravaillés. A ce stade, on peut distinguer trois grands types de projet : des projets orientés « appui conseil aux entreprises » avec des objectifs d’accompagnement de TPE-PME pour des démarches de développement de l’égalité professionnelle et de prévention des risques d’agissements sexistes ; des projets orientés « production et transfert d’outils » dans une perspective de sensibilisation et d’outillage des entreprises ; des projets orientés « négociation et déclinaison d’accord QVT – EP » qui s’inscrivent dans le cadre de démarches paritaires avec des enjeux de capitalisation et de diffusion sectoriels importants.

La session du Transformateur Numérique spécial « égalité professionnelle » s'est quant à elle tenue les 8 et 9 mars 2018. Le Transformateur Numérique est un dispositif d’innovation collaborative qui vise à accélérer des initiatives mettant le numérique au service de la qualité de vie au travail. Il a pour ambition d’appuyer des projets combinant innovation technologique et innovation sociale. La session a accueilli 13 projets (découvrir les projets, NDLR) dont 4 ont été sélectionnés en finale, et vont pouvoir bénéficier d'un accompagnement conseils. Pour certains, la collaboration avec l'Anact se poursuit.

LS : On entend peu l'Anact sur le sujet de la protection des travailleurs des plateformes. Pourquoi ?

R. A. : L'économie des plateformes pose un défi collectif aux politiques et dispositifs d’intervention imaginés sous l’empire d’un droit social conçu en référence à la seule relation salariale « classique ». Les relations de travail y sont encadrées par le droit commercial plutôt que par le droit du travail, et la responsabilité sociale en grande partie renvoyée sur les travailleurs. Les leviers d'actions ne sont donc plus les mêmes. Les parties-prenantes ne sont pas encore toujours bien identifiées. Il y a donc tout un travail de problématisation (dépasser le concept "d'Uberisation"), d'identification des risques et des leviers, ainsi que d'aide à la structuration du jeu d'acteurs. L’Anact mène actuellement sur ce sujet des travaux structurés autour de trois axes : analyse de la tendance d'externalisation du travail ; soutien à l'émergence et la constitution de collectifs représentant les parties-prenantes afin de structurer un espace de dialogue social national et européen ; mise en place pour 2019 d'actions collectives avec l'ambition de construire le cadre d'une expérimentation qui accompagnerait plusieurs plateformes volontaires pour tester des modes de travail socialement responsables, ainsi que pour définir des critères "d'impacts" permettant aux décideurs publics de mieux identifier des initiatives vertueuses en matière de conditions de travail.

LS : A l'occasion de la journée mondiale de la sécurité et de la santé au travail, le 28 avril dernier, une étude a montré que les jeunes étaient plus vulnérables que leurs aînés aux accidents du travail. Comment mieux les protéger ?

R. A. : En mai 2017, l’Agence européenne pour la sécurité et la santé au travail a communiqué sur le fait que le taux d’accidents au travail est 50 % plus élevé chez les jeunes de 18 à 24 ans que chez les autres catégories de travailleurs. Pour l’OIT (Organisation internationale du travail, NDLR), cette population représente 15% de la population active mondiale. Cette sur-accidentalité des jeunes a des causes multiples, qui se conjuguent entre elles. En miroir, les réponses de prévention se doivent d’être conjuguées. Comme l’atteste la récente étude de l’INRS, les jeunes de moins de 25 ans formés en santé et sécurité au travail pendant leur scolarité ont 2 fois moins d’accidents du travail que les autres. Pour l’OIT, l’éducation est un vecteur de prévention. Elle estime ainsi que « les jeunes devraient apprendre des notions de sécurité et de santé au travail dans le cadre de leur éducation, avant d’entrer dans la vie active ». Ils devraient aussi recevoir une formation en santé et sécurité au travail « spécifique à leur métier pour se préparer à travailler et au début de leur emploi ». L’Anact et son réseau sont mobilisés sur ce thème, par des actions plus spécifiquement destinées à former les encadrants pour qu’ils intègrent les dimensions conditions du travail, santé-sécurité et QVT dans les contenus qu’ils enseignent. Ce projet du réseau Anact-Aract, nommé « Faire école », a déjà fait l’objet d’une publication « le livre blanc : « Apprendre à manager le travail ».

LS : Croyez-vous aux vertus de la nouvelle norme ISO 45001 relative aux systèmes de management de la santé et de la sécurité au travail ?

R. A. : Un certain nombre de ses dispositions nous paraissent aller dans le bon sens. Grâce au travail de concertation cette norme prend en compte des principes de base de la prévention auxquels la France est particulièrement attachée, notamment en accordant une place importante aux exigences d’information, de formation et de participation des travailleurs, ou encore à la nécessité de consultation de leurs représentants. Elle propose un processus complet et cohérent pour assurer la maîtrise des risques et plus généralement elle s’inscrit dans une vision rénovée du management en santé et sécurité au travail, en contribuant à faire remonter les préoccupations en la matière au niveau des autres facteurs stratégiques de l’entreprise. Par contre, le document demeure complexe, notamment par le nombre de processus exigés, en particulier pour les PME/TPE. En matière de santé au travail, il importe en effet d’adapter les méthodes et outils de travail aux particularités des PME et TPE et éviter de tomber dans un formalisme trop important qui amène à privilégier la forme sur le fond. La norme Iso 45001 est donc un outil parmi d’autres et en définitive comme pour tout outil, c’est l’usage effectif qui en sera fait par les acteurs qui sera déterminant.

LS : Quel regard portez-vous sur la disparition des CHSCT dans les entreprises ?

R. A. : La mise en place du Comité social et économique constitue manifestement une étape majeure en matière de prévention des risques professionnels. L’enjeu principal de cette nouvelle instance c’est d’arriver à mailler la représentation du personnel autour de deux échelons d’action - l’échelon de proximité où le travail se réalise avec l’échelon plus stratégique où se prennent les grandes décisions de l’entreprise – tout en veillant à préserver le niveau d’expertise qu’offrait le CHSCT. Sur un plan stratégique, l’instance unique de représentation du personnel doit en effet permettre de traiter les questions de santé et sécurité au travail là où se prennent les décisions et se définissent les orientations de l’entreprise. Les questions actuelles de santé au travail sont devenues tellement liées aux questions d’organisation qu’elles peuvent gagner à ne plus être traitées séparément sur un mode correctif. Sur un plan plus opérationnel, le représentant de proximité sera manifestement le plus à même de renseigner le CSE sur les conditions concrètes de réalisation du travail.

Enfin, l’existence d’une commission santé-sécurité-condition de travail permettra le cas échéant de préparer et d’instruire pour le compte du CSE les décisions relatives à chaque problème complexe. La négociation du protocole d’accord préélectoral et la rédaction du règlement intérieur du CSE ne doivent en ce sens pas être négligées puisqu’elles doivent permettre aux partenaires sociaux et à l’employeur de s’accorder sur le périmètre et la configuration du CSE mais aussi sur les moyens alloués. En tout état de cause, il importe de rappeler que nous ne partons pas d’une feuille blanche et que tous les enseignements tirés de ce qui a été fait ces dernières années pour accompagner le développement et le fonctionnement des délégués du personnel et des CHSCT nous sera utile pour la mise en place et le bon fonctionnement des futurs CSE.

LS : Sur un plan plus personnel, quels ont été les temps forts de votre première année à la tête de l'Anact ?

R. A. : Au-delà du changement de direction, nous avons vécu une année de transition marquée par l'achèvement et du précèdent Contrat d'objectifs et de performance 2014-2017 (COP) et la préparation de celui que nous soumettrons au conseil d'administration le 28 juin prochain. Après un dialogue approfondi avec la tutelle et nos administrateurs, nous avons identifié quatre grandes priorités pour l’axe programmatique du COP 2018/2021. La première est d'accompagner les politiques publiques sur la santé au travail, en particulier dans le cadre du PST 3 et des PRST régionaux. Ensuite, nous voulons mettre l'accent sur l'égalité professionnelle, le dialogue social dans les TPE/PME comme levier essentiel d'amélioration des conditions de travail. Enfin, nous allons travailler sur les évolutions sociétales, en cherchant à concevoir des démarches de prévention adaptées aux différentes formes d'emploi et à la transformation numérique. Deux autres volets du COP 2018/2021 portent sur le positionnement institutionnel et le pilotage du réseau. Ils nous conduiront notamment à poursuivre notre politique de développement des partenariats. Notre modèle ne nous permet pas en effet de toucher individuellement toutes les entreprises. Il convient donc de nous appuyer sur des partenaires pour concevoir et diffuser nos outils, nos méthodes et le cas échéant en partager les coûts. Par exemple, nous avons récemment édité un guide de la QVT pour le secteur de la boulangerie, qui a été conçu en étroite collaboration avec les organisations professionnelles.

LS : Les budgets de l'Anact et des Aract sont-ils préservés ?

R. A. : Oui pour l’essentiel concernant l'Anact dont le financement provient majoritairement du ministère du Travail. En revanche, concernant les Aract, financées à la fois par l'Anact, les Direccte, et les conseils régionaux, les situations sont plus contrastées. Cette hétérogénéité s'explique notamment par la réforme territoriale, qui à ce stade a pu avoir des impacts budgétaires relativement différents.

Propos recueillis par Jean-François Rio

Source : Actualités du droit